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Dolorès Marat
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L'univers de Dolorès Marat est une énigme photographique, un récit poétique et troublant. Les arbres se mettent en marche, les portes de cinéma nous sourient, une femme crocodile prend des notes, il pleut des oiseaux tandis qu'une raie nous observe à travers la vitre de l'aquarium. Du métro aux portes du Moyen-Orient, où sur terre nous emmène Dolorès Marat ? Quel est le secret qu'elle nous chuchote ?
Cette monographie, publiée à l'occasion du Prix Robert Delpire 2023, nous invite à parcourir l'oeuvre intangible et envoûtante de la photographe, à l'image des silhouettes fantomatiques qu'elle capture à travers de rares éclats de lumière. Dolorès Marat aime photographier à l'heure bleue, à la tombée de la nuit ou au lever du jour dans des atmosphères faiblement éclairées, vaporeuses, propices au merveilleux. Elle assume ce flou de bougé, et sa proximité avec la peinture est renforcée par son choix du tirage Fresson au charbon. Images hallucinées, visions fugitives, tout est suggéré, permettant au regardeur de s'inventer ses propres histoires.
Comme le souligne Magali Jauffret dans son très beau texte : « Dolorès ne fait pas de mise en scène, elle ne triche pas avec ce qu'elle voit. Elle ne recadre pas, ne retouche pas, ne postproduit pas. Elle ne prend qu'une photo et ce sera la bonne. Elle fabrique de l'instantané. ». Tout à la fois photographe culte et artiste populaire, Dolorès Marat est inclassable. -
Il faut rappeler que Dolorès Marat a depuis longtemps photographié beaucoup d'animaux - sans pour cela risquer le moins du monde l'emploi de photographe animalière -, et que toujours ils sont affectés de solitude. Il existe bien dans son album certaines images d'ensembles, un vol d'oiseaux, une troupe de cavaliers, mais ils sont si lointains, si disséminés dans l'étendue d'un désert ou d'un ciel, qu'à leur tour et collectivement ils sont très seuls. Et il ne s'agit donc jamais de photographies de singes, de girafes, de hiboux, mais de celles d'un sujet singulier, élu dans sa solitude, et même, glissons un peu sur la pente anthropomorphe, dans sa déréliction malheureuse. Son tropisme est non pas celui des animaux dans leur état dit sauvage mais de ceux que le monde à intégré à ses pauvres machineries de loisir, ceux que l'on peut sentir tristes au fond d'une cage, d'un zoo : des reliques, des reclus, des captifs abandonnés à la curiosité de visiteurs pressés, et auxquels elle accorde une forme de dignité sans occulter mais en suggérant seulement leur condition à nos pensivités. Ces sujets de Jardin des plantes ont été précurseurs annonçant aux hommes vers quoi ils s'avançaient, ayant perdu à la fois leur place native et libre au sein de la Création et leur métier utile à nos moeurs, travaux, postes, présages, émissaires. On en est d'ailleurs maintenant à leur procurer des visionnages numérisés pour se causer d'une cage à l'autre et se figurer à quoi ils ressemblent en décédant d'ennui mais fortement excités dans l'engouement du réseau. Dolorès Marat : Dolorès Marat est née à Paris en 1944, photographe indépendante, elle continue sa recherche sur la couleur au détriment des modes et des genres. Son travail d'auteur utilise uniquement le procédé de tirage Fresson. Elle a publié de nombreux ouvrages. Du musée Guggenheim à New-york à la Bibliothèque nationale de France, ses photographies font partie de nombreuses collections publiques et privées.
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New-York, Palmyre, Avignon, les transports suburbains, le désert ou les rives, il n'y a pas de lieu pour photographier. On est ici aux antipodes du reportage, de la préméditation, et pourtant c'est bien le monde qui paraît, son absurde, ses combinaisons hasardeuses ou divines, sa densité, ses vibrations humaines, animales, minérales. Son art d'être là plutôt que de ne pas être. L'art aussi de guetter et de recevoir de Dolorès Marat, qui jamais ne retouche ni ne recadre.
C'est aussi ce qu'on peut sauver, malgré tout, par cette empreinte dérobée dans l'errance, la divagation. La solitude affecte tout :
Une statue, une bête en cage, un mendiant, un acteur, un nuage. La solitude ici est la singularité, le miracle d'une aura restituée en ces temps d'objets stéréotypés et de foules subjuguées par leur image, ignorantes du minuscule étonnement d'une présence.
Ces photographies sont le plus souvent prises au jour naissant ou au crépuscule sinon sous la lune, parfois dotées d'un flou qui souligne une vision plutôt qu'un compte-rendu, laissant ainsi les images dans une vapeur sombre d'où elles semblent émerger comme du profond de nos nuits. Dolorès Marat a quelques fois indiqué qu'elle photographiait faute de pouvoir dire : le titre dit ça aussi, et si ce livre donne une voix à entendre, c'est tout bas. Loin des vociférations et du commentaire.
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Ce second opus de «Lignages» de Serge Airoldi nous entraîne à la recherche du palmier parfait, et bien qu'il l'ait trouvé, la quête ne cessera pas. Dolorès Marat le précède, nous précède, dans ce pays des tigres, des éléphants, et des palmiers.
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