Le détroit de Gibraltar est le produit d'une longue construction historique, comme en témoignent ses appellations successives, du détroit de Gadès à la « montagne de Tariq ». Cet espace a en effet été progressivement façonné par les pouvoirs qui l'ont dominé, aussi bien à l'aide d'acteurs (gouverneurs, délégués militaires ou civils) que de territoires (cités, ports, arsenaux). Quoique le choix d'une administration propre intégrant ses deux rives ait été l'exception, les constructions impériales qui se sont succédé en Extrême Occident ont porté une attention particulière à cet espace de limites, conceptualisé autant comme charnière que comme frontière. Ce volume questionne ainsi le rôle du Détroit dans la construction des empires dans la longue durée, de la domination punique jusqu'à la chute de Grenade.
Le terme « Berbère », qui désigne la population du Maghreb au moment de la conquête islamique, renvoie à l'idée du caractère autochtone de cette dernière. Cette altérité coexiste cependant dans les textes avec la revendication du caractère oriental des Berbères, à travers l'élaboration de généalogies fictives des tribus, qui présente le Maghreb comme orientalisé avant même la conquête. Mais cette construction s'est accompagnée, très vite, d'un discours des auteurs maghrébins qui revendiquait la place originale et éminente des Berbères face aux Orientaux dans le plan divin, par une inversion assumée des polarités de l'Islam et des hiérarchies des peuples musulmans. Les études réunies dans ce volume analysent cette tension permanente dans le discours, entre la revendication d'une origine orientale et celle d'un rôle éminent des populations musulmanes du Maghreb dans le destin de l'Islam.
L'histoire des "mozarabes" a suscité des débats acharnés, mais qui convergent vers l'image d'une communauté fossile, maintenue sous perfusion après le le siècle. Pourtant, la geste des martyrs de Cordoue ne constitue pas le chant du cygne, mais au contraire l'origine même du mozarabisme en péninsule Ibérique. La formation d'une culture arabo-chrétienne dans la seconde moitié du IXe siècle témoigne de l'avancée du processus d'islamisation, mais aussi de la profondeur de l'arabisation dans la société.
Cet ouvrage s'interroge sur l'échec de ce mouvement d'acculturation, qui se mesure au rôle social et culturel marginal que joue le christianisme arabisé en al-Andalus à partir du XIe siècle. Parmi les facteurs d'explication avancés, des migrations continues disséminent dans les terres de marges du nord de la Péninsule des noyaux de populations chrétiennes arabisées, contribuant à faire de cette "situation mozarabe" un phénomène transfrontalier, prolongé à Tolède jusqu'au XIVe siècle.
Avant le temps des ministres-favoris de l'époque baroque, les rois de l'Europe médiévale ont compté dans leur proximité sur l'assistance de personnages souvent vus comme leur préfiguration. Appelé « privauté » (privanza), ce phénomène a pour fondement le choix de l'amitié contre la parenté. Ainsi, pour se libérer de ses parents et de ses barons, qui entendent exercer une emprise sur sa royauté, le roi lance ses privados. Néanmoins, si ceux-ci oeuvrent donc à une expulsion, ils organisent dans le même temps une participation alternative et plus large au gouvernement du roi. Dans la Castille de la fin du Moyen Âge, ce phénomène se distingue par une continuité particulièrement propice pour interroger sons sens historique : réalisé sur le terrain idéologique à partir du milieu du XIIIe siècle et devenu stratégique à partir du début du XIVe siècle, le choix de la privauté est à la base d'un régime politique marqué par la distinction entre gouvernement et souveraineté. Cet essai envisage à nouveaux frais ce moment fondateur de l'expérience médiévale du pouvoir d'État.
La transition vers la démocratie occupe une place de choix dans l'imaginaire espagnol. Miroir positif de la tragédie représentée par la Guerre civile de 1936-1939, vantée à l'extérieur comme un modèle à suivre, cette transition est devenue en Espagne un mythe fondateur. Réputée pacifique, elle n'aurait pas, ou peu, fait couler le sang. Ce livre souligne pourtant le contraire. À partir de données inédites, il conclut à l'existence d'un cycle de violences qui, loin d'être à mettre sur le seul compte de l'ETA, est imputable à des protestataires de tous bords ainsi qu'aux agents de l'État parfois enclins à la bavure. Cet ouvrage se penche sur les motivations et les pratiques des acteurs ainsi que sur la réforme du système répressif franquiste, entachée par le recours à la torture ou à la « guerre sale » contre un terrorisme croissant. Il décrypte en outre le poids des imaginaires dans une Espagne traumatisée par un passé douloureux que réactive la violence du présent. Ainsi, en replaçant la violence et sa mémoire au coeur de l'analyse, il contribue à renouveler l'interprétation de cette période clef de l'Espagne contemporaine.
Le temps et l'espace étaient les horizons de Bartolomé Bennassar : la profondeur historique de l'histoire espagnole, les grandes terres de l'Amérique latine. Comme tout pérégrinant, il écrivait ses voyages, mais avec une plume double : celle de l'écriture romanesque - l'un de ses romans a connu une adaptation au cinéma - et celle de l'historien. Il nous livre dans ce petit ouvrage la quintessence d'un itinéraire humain et intellectuel : de la découverte de la discipline qui sera la sienne, l'histoire, à sa carrière, scandée au rythme de la publication d'une oeuvre historiographique importante, de spécialiste attentif des évolutions du monde hispanique, sans oublier la passion de l'enseignement qui inlassablement l'emmène avec ses étudiants sur les routes des Andes.
Ce livre traite d'un thème central pour comprendre les vastes empires ibériques entre les XVIe et XVIIIe siècles : la distance. Il n'est pas seulement question de l'éloignement qui séparait physiquement les hommes et les femmes qui vivaient dans les territoires portugais ou espagnols (européens et d'outre-mer). Les distances étaient plurielles car les différences sociales, culturelles et politiques étaient beaucoup plus présentes que les similitudes.
Comment les agents ont-ils perçu et conçu les distances ? Comment les ont-ils vécues concrètement et comment ont-ils gouverné pour surmonter les nombreux obstacles qu'elles imposaient ?
Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, tout un pan de l'action politique s'est trouvé délégitimé par les gouvernements et les secteurs dominants de la société, au profit d'une définition du politique s'inscrivant dans un cadre pacifié et normé, défini par les États comme étant celui du débat public. À partir d'études de cas en Europe et aux Amériques, ce dossier examine ces pratiques politiques peu visibles car en dehors de l'espace politique institutionnalisé, et vise a` proposer un élargissement en aval et en amont de la chronologie désormais bien établie de l'âge des révolutions.
Au sortir de la guerre civile catalane de 1462-1472, Barcelone, principale cité de Catalogne et grand port méditerranéen, entre dans une phase de reconstruction. Le roi Ferdinand le Catholique transforme les modalités d'entrée au gouvernement municipal, formalise l'accès à la noblesse et implante dans la ville une nouvelle Inquisition sous contrôle royal. Affecté également, le haut clergé cherche sa place, et les chanoines de la cathédrale en particulier tâchent d'assurer leur implantation au sein des pouvoirs urbains en recomposition. Au croisement de l'histoire canoniale et de l'histoire urbaine, cette étude montre comment, au-delà de leurs attributions religieuses, évêques et chanoines, pleinement intégrés à l'élite dirigeante de la ville, sont amenés à jouer un véritable rôle dans la vie publique d'une cité en pleine mutation.
Les réformes bourboniennes du règne de Charles III dans des domaines essentiels (fiscalité, administration, commerce, relations inter-ethniques) ont amené des modifications profondes, bouleversé de vieux équilibres séculaires et suscité partout dans l'Empire espagnol de très vives réactions dans les divers secteurs sociaux. À partir des relations entre l'exercice du pouvoir et la société, ce livre brosse un panorama d'ensemble de l'histoire des Indes d'Espagne au tournant des XVII e et XVIII e siècles, une période qui n'avait guère suscité de recherches et, pourtant, un moment charnière entre l'essoufflement d'un modèle colonial et l'imposition d'un autre plus moderne et fondé sur d'autres valeurs politiques. Il présente aussi un état des lieux de la recherche avec des synthèses bibliographiques et historiographiques.
Ce livre examine les fondements historiques et scripturaires de l'idéal de pureté partagé par les juifs et les chrétiens à la fin du Moyen Âge en péninsule Ibérique. Le croisement des sources théoriques et des documents de la pratique, des sources latines, hébraïques et vernaculaires met en évidence la façon dont ce thème majeur de la littérature biblique et talmudique s'est perpétué à travers les siècles et a eu des incidences nombreuses sur la vie quotidienne des hommes au XVe s.
La réflexion débouche sur des questions centrales pour l'histoire de la minorité juive en péninsule Ibérique : le passage de l'antijudaïsme à l'antisémitisme, l'apparition du concept de race, la prépondérance du sang dans l'assignation à une identité, le poids de l'accusation de crime rituel, l'incrimination des non chrétiens dans une société Ibérique de plus en plus exclusive, la discrimination et la ségrégation pour s'en protéger jusqu'à l'expulsion.
Le 4 août 1897, des ouvriers agricoles découvrent par hasard à La Alcudia, site de l'antique Ilici (Elche, au sud de la province d'Alicante), une sculpture ibérique datant du Ve-IVe siècle av. J.-C. et connue sous le nom de Dame d'Elche. Sa singularité et « l'étrangeté troublante de sa beauté » (Pierre Paris) conduisent les archéologues et les historiens de l'art à y voir le chef-d'oeuvre de l'art ibérique. Source d'inspiration pour les artistes, la Dame devient aussi, sous la plume des idéologues régionalistes et nationalistes espagnols, une icône identitaire. Cet ouvrage, écrit conjointement par un archéologue et une anthropologue, présente ces différents regards et les réactions esthétiques et affectives qui les accompagnent, tout en s'arrêtant sur les usages sociaux et politiques de la statue.
L'ouvrage développe une réflexion critique sur le concept de modèle politique et de circulation des modèles, à la lumière des évolutions récentes de l'histoire culturelle du politique. Cette histoire, qui accorde toute son attention au travail de construction de représentations par les acteurs, critique l'idée d'une différence essentielle et irréductible entre la France et l'Espagne.
La décoration intérieure au XVIIIe siècle n'a guère laissé de traces matérielles et l'étude de ses sources est également rare. À ce titre, le projet décoratif des appartements de la duchesse d'Albe élaboré par le marchand de soies et décorateur François Grognard pour le palais de Buenavista à Madrid (1792) représente un témoignage précieux et original, écrit sous la forme d'un voyage pittoresque et de lettres à caractère poétique. Ce récit est accompagné de la transcription annotée de sa correspondance manuscrite, de trois études sur Grognard, le palais de Buenavista et l'activité des décorateurs madrilènes à l'époque moderne,.et d'un glossaire historique de termes textiles.
Est-il possible de parler de sécularisation en Espagne avant que cette notion n'ait une existence juridique et constitutionnelle effective ? Durant la période traitée par l'ouvrage, 1700-1845, le principe de sécularisation du politique fait l'objet de multiples blocages, et l'idée même de sécularisation est débattue. Cependant, un processus de sécularisation sociale et culturelle semble être à l'oeuvre en parallèle : l'influence sécularisatrice des idées des Lumières entraîne des changements sociaux et de nouvelles pratiques culturelles, scientifiques et artistiques, même au sein de l'Église.
L'histoire de l'intendance hispano-américaine ne peut se faire sans l'histoire des hommes qui la gouvernent. Au-delà des données biographiques classiques, cet ouvrage se penche sur leur environnement familial, social et professionnel. Son originalité réside dans la composition du groupe étudié. Il recense l'ensemble des intendants de la vice-royauté de la Nouvelle-Espagne entre 1764 et 1821 quel que soit leur mode de nomination, qu'ils soient entrés ou non en charge. Il est le seul à étudier les intendants de cette aire géographique dans toute son intégralité territoriale (Nouvelle-Espagne, Guatemala, Louisiane, Cuba, Porto Rico, Philippines).
Cet ouvrage se veut un bilan inédit des études locales réalisées sur les républicanismes ibériques entre leurs premières manifestations au XIXe siècle et la proclamation de la Seconde République espagnole en 1931. Il met en lumière la richesse des historiographies propres à chaque territoire de la péninsule Ibérique, Portugal compris, et permet, ce faisant, de décloisonner des espaces scientifiques qui se méconnaissent. Il propose également une série de pistes de recherche pour évaluer à nouveaux frais, et sous des angles différents, l'importance du républicanisme dans la péninsule Ibérique.
À l'apogée du califat de Cordoue au milieu du Xe siècle, plusieurs établissements ruraux ont été fondés dans la vallée de l'Èbre pour accueillir et regrouper des communautés rurales dans le but de mettre en exploitation des terres à vocation céréalière, dont une partie des productions approvisionnait les centres urbains régionaux tels que Huesca. L'une de ces habitats, associé à une mosquée, était Las Sillas à Marcén, un site archéologique qui a fait l'objet d'une série de campagnes de fouilles minutieuses. Celles-ci ont permis de dresser un nouveau panorama du monde rural d'al-Andalus au cours des Xe et XIe siècles.