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Anamosa
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Comprendre ce qui nous arrive, ce qui nous est arrivé... Tel est l'enjeu de ce livre. Avec les outils des sciences sociales et de celles de la psyché, le sociologue Marc Joly, spécialiste de la sociologie du pouvoir et de la violence morale, décrypte avec efficacité la crise démocratique que nous vivons à partir d'un cas, celui du président Macron.
À la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale, le 9 juin 2024, nombre de commentaires ont fleuri sur la " folie " d'Emmanuel Macron, " artisan du chaos ". Le ressentir et le dire est une chose ; analyser en quoi consiste précisément cette pathologie au pouvoir en est une autre. C'est tout l'enjeu du patient travail de Marc Joly. Tenant d'une véritable articulation de la sociologie avec la psychanalyse, prolongeant une vaste enquête consacrée à la catégorie de " perversion narcissique ", il dévoile ce qui est effectivement en jeu : une folie narcissique que colmate une perversité accomplie et qui, en conséquence, rejaillit sur tout un peuple.
Pour mettre des mots (et du savoir) sur le décervelage que provoque la personnalité d'un président usant sans la moindre considération éthique de toutes les prérogatives que lui offre la Constitution de 1958, l'auteur perce à jour les différentes dynamiques et relations sociales à l'oeuvre : crise de la violence symbolique ; " folie à deux " ; masculinité toxique et capitalisme prédateur ; fantasme monarchique de la Ve République. -
Les seins des femmes sont-ils le siège visible, désigné, ressenti du féminin ? Ils sont en tous cas au coeur de tensions à la fois intimes et sociales, voire politiques, enjeu de l'assignation des femmes à des normes immémoriales et lieu d'une émancipation revendiquée. Cet essai en dévoile les mille et un signaux à travers une enquête où les femmes livrent leur expérience vécue.
Ronds, fermes et hauts, ni trop petits ni trop gros, à la fois sexy et nourriciers, les seins des femmes sont l'objet d'assignations, d'injonctions et de fantasmes innombrables. Or l'expérience de chacune et de chacun est bien loin de se conformer à ces idéaux. Ces standards sont donc fréquemment vécus comme un poison et les seins réels invisibilisé.
Camille Froidevaux-Metterie a mené une enquête auprès de femmes de tous âges, qui déroulent le fil de leur existence au prisme de leurs seins : de leur apparition au port du soutien-gorge, de la séduction au plaisir sexuel, du poids des normes esthétiques à la transformation volontaire ou contrainte par la chirurgie, de l'allaitement à la maladie... Grands oubliés des luttes féministes, appartenant à la fois à la sphère intime et à la sphère sociale, les seins condensent le tout de l'expérience vécue du féminin contemporain, soit ce mixte paradoxal d'aliénation et de libération. Ce constat s'inscrit dans une dynamique puissante que l'autrice appelle « tournant génital du féminisme », mouvement de réappropriation du corps des femmes dans ses dimensions les plus intimes : mieux connaître les organes génitaux et leur fonctionnement, lutter contre les violences sexistes et sexuelles, revendiquer l'accès à une sexualité libre et égalitaire placée sous le signe du consentement. Dans la pluralité de leurs formes et la liberté de leur condition, les seins participent de ce mouvement.
Au cours de son enquête, l'autrice a réalisé des portraits des seins des femmes qui évoquent avec force en regard des verbatims et de l'analyse de cette « expérience vécue des seins ».
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"on ne peut pas accueillir toute la misère du monde" : en finir avec une sentence de mort
Pierre Tévanian, Jean-Charles Stevens
- Anamosa
- 1 Septembre 2022
- 9782381910567
Proférés pour clore toute discussion, ces dix mots, On ne peut pas accueillir toute la misère du monde semblent constituer l'horizon indépassable de tout débat sur les migrations, tombant comme un couperet pour justifier le refus ou la restriction. Dans cet essai incisif, il s'agit de décrypter et déconstruire tous les poncifs qui s'y logent et de revaloriser l'hospitalité.
On ne peut pas accueillir toute la misère du monde : qui n'a jamais entendu cette phrase au statut presque proverbial, énoncée toujours pour justifier le repli, la restriction, la fin de non-recevoir et la répression ? Dix mots qui tombent comme un couperet, et qui sont devenus l'horizon indépassable de tout débat raisonnable sur les migrations.
Comment y répondre ? C'est toute la question de cet essai incisif, qui propose une lecture critique, mot à mot, de cette sentence, afin de pointer et réfuter les sophismes et les contre-vérités qui la sous-tendent.
Arguments, chiffres et références à l'appui, il s'agit en somme de déconstruire et de défaire une xénophobie autorisée , mais aussi de réaffirmer la nécessité de l'hospitalité. -
Féminisme : mot explosif, chargé de batailles, d'identifications et de contradictions. Mot d'importance donc pour la collection Le mot est faible, dont la professeure en études de genre Éléonore Lépinard s'empare ici avec brio pour le recharger d'une exigence toujours renouvelée de penser ses propres contradictions et de réinventer de nouvelles pratiques d'émancipation.
Si le mot " féminisme " est explosif, c'est qu'il serait pour certain·es porteur d'excès, d'une demande d'égalité risquant de renverser l'ordre établi, d'un désir d'imposer de nouvelles identités ou de prescrire un nouveau langage. Le féminisme brûle en effet : des " pétroleuses " incendiaires de la Commune de Paris, aux soutiens-gorges que les féministes du Mouvement de libération des femmes auraient brûlés, ces mythes tenaces associent dans notre imaginaire collectif les féministes avec un feu ravageur. L'incandescence de ce mot est aujourd'hui ravivée, à coups de hashtags, de témoignages et de colères rendues publiques, de manifestations et de chorégraphies à dimension planétaire.
Il y a aussi danger quand certain·es voudraient non pas s'opposer au féminisme et à ses demandes, mais au contraire se l'approprier, en donner une définition commune et légitime pour toutes celles et ceux qui voudraient se revendiquer de ce projet politique. Les luttes pour imposer ce que devrait être le " vrai " féminisme, sont aussi chargées d'affects, d'histoires et de conflits. Les rassemblements de toutes, #NousToutes, contrastent avec les conflits et colères, les #NousAussi clamés par les exclu·e·x·s d'un discours qui se veut universaliste mais qui ne manquerait pas de toujours ériger des frontières, des clôtures autour d'un " bon " féminisme, accessible à certaines et pas à d'autres.
Il faut dire qu'avec les féminismes revendiqués de Beyoncé, de Sheryl Sandberg, de Chimamenda Ngozi Adichie, d'Élisabeth Badinter, d'Annie Ernaux, d'Amandine Gay, d'Adèle Haenel... ou d'Emmanuel Macron, on dispose d'autant de versions, contradictoires, opposées, oxymoriques ou alliées à explorer. La tendance à qualifier le féminisme indique que ces versions semblent pouvoir se multiplier à l'infini : business feminism, féminisme radical, féminisme néolibéral, féminisme matérialiste, afro-féminisme, transféminisme, féminisme queer, écoféminisme... Devant cette avalanche de tendances on peut se demander si le mot a vraiment encore un sens, s'il peut désigner un projet commun dont les contours seraient identifiables. Comment un mouvement qui semble s'énoncer au nom d'un sujet qui a l'apparence de l'évidence, les femmes, peut-il s'avérer si protéiforme ? Comment peut-il être étiré jusqu'aux limites de ses possibilités et de son histoire puisqu'il devient revendiqué par des fractions de ceux-là même qui l'ont tant combattu, les idéologies de droite voire d'extrême droite ? Y a-t-il encore un dénominateur commun ? Le féminisme est-il voué à l'éclatement et la récupération ou peut-il continuer de nourrir nos imaginaires, nos désirs, nos luttes et nos vies ?
L'autrice défend ici brillamment que ces luttes et ces conflits sont essentiels au féminisme, au sens où ils en constituent l'essence même et sont aussi essentiels à sa dynamique propre. Pour autant, accepter l'importance de ces conflits n'est pas céder au relativisme : toutes les versions du féminisme ne sont pas bonnes à adopter ou équivalentes. Loin de là. Le féminisme porte une exigence toujours renouvelée de penser ses contradictions, de répondre à celles qui en contestent les frontières, de réinventer de nouvelles pratiques d'émancipation. -
La tradition : bonne à n'être que le nom d'une baguette ou la revendication du conservatisme ? Voilà un mot apparemment usé et amoindri, dont les auteurs font le tour et qu'ils interrogent en regard de la " modernité ", rappelant aussi qu'elle fut au coeur de l'entreprise des sciences sociales.
C'est un mot usé, fatigué, élimé parce qu'il a été beaucoup utilisé. À moins que l'amoindrissement de sa charge sémantique ne relève plutôt d'une discordance avec l'époque. La tradition ne serait plus à la mode. Paradoxalement. Repris à l'envi dans la communication patrimoniale qui vante l'authenticité, le chez-soi et l'immémorialité, ce mot subit, au même moment, un racornissement de son domaine d'assignation. Bonne à n'être qu'un slogan pour des publicités peu inspirées, coincée dans l'étau de l'injonction mémorielle et du colifichet touristique, la tradition se fait rigoriste à l'autre bout du portefeuille langagier. Les " tradis ", ce sont, pour beaucoup d'entre nous, ces autres, dont nous peinons quelquefois à comprendre, sur fond de " Manif pour tous " et de soutanes tout droit sorties de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, un argumentaire et des attitudes qui relèvent de son orthopraxie. Une tradition en majesté en quelque sorte, éloignée de ce qu'elle est de fait : bien moins la lecture littérale d'un dogme qu'une somme d'interprétations d'un noyau dur qui sert in fine d'entregent à des signifiants flottants.
Disqualifiée la tradition par le trop-plein et le trop peu ? L'on pourrait dire la même chose de la modernité. Que sa progressive mise à l'index, surtout à compter des années 1970, renvoie à toutes sortes de relectures ouvrant sur le souhait de clore ce qui serait une parenthèse désenchantée de l'anthropocène en est une autre. Tandis que des mots retrouvent de leur lustre pour dire et faire dire l'époque - le fond de l'air serait à la radicalité et à la réaction -, d'autres dépérissent tranquillement dans la sphère communicationnelle. Pour des raisons différentes, la pléthore de l'insignifiance pour la première et une aversion galopante pour la seconde, tradition et modernité, en un couple qui régna en maître sur nombre de travaux menés dans les sciences sociales des Trente Glorieuses aux fins de circonvenir la question latérale du changement ou, plus exactement, de l'évolution, ne font donc plus recette.
Toutefois, ne faire de la tradition (un ensemble d'énoncés, d'actes, de représentations et de croyances qui se transmettent de génération en génération) qu'une arme au service d'une idéologie de la différenciation négative ne saurait restituer toutefois ce qu'elle fut aussi : un moyen de cerner des sociétés en s'interrogeant précisément sur l'effectivité et la pertinence de ce que l'on plaçait derrière le mot tradition, soit un opérateur pour les sciences sociales qui mérite d'être pris en compte. -
Égrenant les caricatures et fantasmes, non dénués parfois de réalité, que génère le mot " patron ", Michel Offerlé, spécialiste du monde politique et du patronat, prend le risque de l'histoire et de la sociologie pour tenter de comprendre qui sont les patron·ne·s, ce qu'ils et elles font et ce qu'ils et elles nous font.
Après une plongée dans la culture populaire présentant les images, le vocabulaire (patron-voyou, salaud de patron, cochon de patron, parasite, exploiteur...) voire le bestiaire carnassier qui entourent le mot chargé qu'est " patron ", et, fréquemment, en France à tout le moins, péjoratif ou insultant, Michel Offerlé entreprend dans ce petit ouvrage vivant une courte histoire et une sociologie des patrons, et des patronnes, dans leur très grande diversité. D'où la difficulté de cerner avec précision un mot, contesté et chahuté, y compris dans leurs propres rangs.
C'est, au xixe siècle, que le patron comme chef d'une unité économique apparaît politiquement et juridiquement après 1830. Dès lors, cette labellisation renvoie aussi à patronage puis à paternalisme, mélange de sentiment de devoir protecteur et de nécessaire surveillance. À partir de la seconde moitié du xxe siècle, le mot s'étire et on quitte, parfois, la famille, et le patron nominal des grands groupes mondialisés est le plus souvent un " dirigeant ", manager ou CEO désigné et contrôlé par des actionnaires qui en sont les véritables propriétaires. Au xxie siècle, vient le temps des entrepreneurs évinçant la symbolique trouble du mot patron des start-up, des autoentrepreneurs ou les entrepreneurs par nécessité - ces derniers étant bien plus nombreux qu'il n'y paraît. Tous sont enrôlés dans la cause de l'entrepreneuriat, étendard de la modernité de l'accomplissement du travail.
Entre le patron-ne exploiteur et le patron-ne héros, l'auteur instille une sociologie du travail patronal (oui ils-elles travaillent bel et bien), de leurs entourages, de leurs engagements collectifs, de leurs goûts et de leurs valeurs (fierté, autonomie, laissez-nous faire, engagement de soi, féminisme de marché, écologie balbutiante) et de leurs répulsions (les petits contre les grands, une suspicion anti-étatique commune) pour comprendre la diversité du " faire patron " dans une économie capitaliste. -
Nous sommes venus en France : Voix de jeunes algériens 1945-1963
Mathias Gardet
- Anamosa
- 12 Septembre 2024
- 9782381910970
Sur les lieux de l'ancien centre d'observation pour mineurs de Savigny-sur-Orge, Mathias Gardet a découvert les dossiers de centaines de jeunes Algériens isolés arrivés en France entre 1945 et 1963. Face aux récits des adolescent·es, la parole de l'institution judiciaire, éducative, policière, psychiatrique oppose un écho glaçant et empreint de racisme.
Au cours des dernières décennies de l'Algérie coloniale, de jeunes gens choisissent de venir en Métropole, seul·es, pour rejoindre qui une cousine, qui un père ou un mari, ou simplement trouver un travail et une vie meilleure. Arrêté·es pour vagabondage ou de petits délits, ils et elles sont retenu·es quelques mois dans un centre d'observation en région parisienne, en attendant la décision d'un juge.
C'est donc sous le regard et à la demande de l'institution judiciaire, éducative, policière, psychiatrique qu'ils et elles racontent et dessinent leurs aspirations ordinaires d'adolescent·es : leurs vies là-bas, la traversée en bateau, les hôtels meublés, l'école et les petits boulots, les sorties au bal ou au cinéma, leurs histoires d'amours et expériences sexuelles...
Face à leurs désirs d'émancipation, la parole des professionnels oppose, dans un véritable dialogue de sourds, une sévérité inquisitrice et des jugements biaisés, un écho glaçant et empreint de racisme.
Grâce à cette archive, Mathias Gardet enquête et compose un magnifique récit choral à hauteur d'adolescent·es. Il restitue un pan méconnu de l'histoire de l'immigration et de la justice des mineurs, une réalité incarnée de la situation coloniale. -
Classe : historiquement, le mot est fort, associé à une remise en cause radicale de l'ordre social ; aujourd'hui, il est affaibli et ne cristallise plus les oppositions politiques, alors que les inégalités de conditions de vie et de travail sont toujours présentes. Il s'agit ici de redonner son tranchant à la classe sociale comme concept et instrument politique d'émancipation.
Pour point de départ, il y a un paradoxe : le mot classe se trouve affaibli aujourd'hui, alors même que la domination capitaliste se radicalise depuis quarante ans. Le sens associé au concept s'est en effet transformé ; le pluriel (classes populaires, classes supérieures ou classes dominantes) a remplacé le singulier de la classe ouvrière et de la bourgeoisie pour désigner les classes et, chez les chercheurs en sciences sociales, l'accent est mis sur la pluralité des conditions socio-économiques et des rapports à la culture et à la politique davantage que sur les formes d'unité. Dit autrement, la classe ouvrière ne constitue plus le sujet historique des transformations sociales dans le discours et l'organisation des forces de gauche.
Pour comprendre le paradoxe, il est nécessaire de faire évoluer la définition du mot en lien avec les transformations du capitalisme. L'affaiblissement de la classe est alors à mettre en relation avec la fin d'une configuration historique spécifique : les nouvelles formes de capitalisme qui se sont développées depuis les années 1970 nécessitent de repenser le concept de classe en tant qu'elles fabriquent un type de rapport d'exploitation mais aussi de marchandisation de la monnaie, du travail et de la nature. Ces transformations ne sont pas uniquement économiques, elles se jouent aussi dans les formes de sociabilités, de solidarités et de culture dans lesquelles se forment et se reforment les classes sociales. Ces recompositions sociologiques impliquent dès lors de rompre avec la vision d'une classe ouvrière synonyme de prolétariat industriel pour en redéfinir les contours.
Redonner sa force au mot classe implique également de ne pas en faire un isolat et une chose statique, qui nierait d'autres formes de dominations telles que le genre et la race. Autrement dit, les inégalités de genre, de race ou d'origine migratoire ont une base matérielle dans le capitalisme contemporain qu'il s'agit de prendre au sérieux. La configuration contemporaine invite ainsi à réinventer le processus d'affirmation du mot de classe, en y articulant positivement dans une perspective d'émancipation l'imbrication des rapports de domination. De ce point de vue, les expériences des luttes sociales récentes (par exemple la mobilisation des femmes de chambre de l'hôtel Ibis Batignolles) fournissent des points d'appui pour imaginer un réarmement du mot classe sans affaiblir les autres. -
Dans la France du XXIe siècle, on attend beaucoup de la laïcité, devenue injonction, au risque de devenir discriminatoire dans le discours juridique et politique. Laïcité, donc, un mot fort aux enjeux de taille pour notre société, décrypté de manière limpide par la professeure de droit Stéphanie Hennette-Vauchez.
Parangon des valeurs républicaines qui connaissent un regain d'exaltation dans le discours juridique et politique, la laïcité se fait métonymie de la République. On lui demande alors de trancher une multitude de questions. A-t-on le droit de porter des tenues religieuses - à l'école, au travail ou à la piscine ? Comment lutter contre le communautarisme ou le séparatisme ? Ne faudrait-il pas accroître les limites à la liberté d'expression ?
Face à cette hypertrophie du champ et de la portée souvent conférée dans le débat public à la laïcité , l'autrice propose ici une analyse juridique du principe. Le propos poursuit deux objectifs principaux. Le premier est de rappeler que la laïcité est d'abord un principe visant à organiser les rapports entre l'État et les cultes - et non un principe censé réguler les conduites individuelles ou collectives. Est restituée l'histoire moderne du principe (XIXe-XXe siècles) et les trois principes dans lesquels se décline alors la laïcité sont présentés : séparation (des Églises et de l'État), garantie (de la liberté de culte) et neutralité (des autorités publiques). Dans un second temps, l'ouvrage documente et analyse les multiples bouleversements de ce régime républicain et libéral de la laïcité. Il s'agit en particulier de revenir sur les multiples réformes qui, depuis le début du XXIe siècle, tendent à en faire un principe qui met l'accent sur les restrictions davantage que sur la garantie de la liberté religieuse, via, notamment, des obligations multipliées de discrétion sinon de neutralité religieuse qui pèsent désormais sur les personnes privées.
L'analyse de ces mutations est critique, tant du point de vue de la non-neutralité de cette nouvelle laïcité qui s'érige en authentique injonction que du point de vue de son potentiel discriminatoire (vis-à-vis, en particulier, de l'islam). -
Dans la veine propre à la collection Le mot est faible, ce nouveau titre revient, sous l'angle du droit, sur l'histoire de la nationalité française inventée à la fin du xixe siècle et utilisée depuis pour fabriquer des étrangers et les soumettre à des régimes plus ou moins sévères et cruels suivant les besoins du marché du travail.
De définition univoque de l'étranger. Il se définissait par défaut comme celui qui n'appartient pas à la communauté et il existait donc autant de figures de l'étranger que de manières inventées par les humains de former communauté. Ce flou entourant la notion d'étranger a aujourd'hui disparu. L'État-nation s'est approprié le concept pour en dessiner les contours au scalpel : l'étranger est celui qui n'a pas la nationalité de l'État sur le territoire duquel il se trouve. Désormais attribuée de manière certaine par l'effet du droit, la nationalité sépare irrémédiablement le national et l'étranger pour soumettre ce dernier à un régime spécial, arbitraire, plus ou moins sévère et cruel suivant les besoins de l'économie et les considérations politiques du moment. Et lorsqu'on se penche sur la condition des personnes étrangères en France, on observe un droit ségrégationniste - ce qui semble largement admis - et un racisme systémique de l'État et ses institutions, qu'elles nient avec un cynisme de moins en moins feutré.
L'un des enjeux de l'ouvrage est de montrer que la catégorie d'étranger - opposée à celle du national - n'a rien de naturel. En revenant sur la fabrique de la nationalité française à la fin du xixe siècle, on comprend qu'elle n'est pas un attribut de la personne humaine et que la qualité d'étranger, définie en creux, l'a été depuis son origine par l'État à des fins utilitaristes. Satisfaire le marché du travail et organiser la ségrégation des candidat·es suivant leur origine, voilà les deux axes inconditionnels de la politique migratoire française. Lorsque le besoin de main-d'oeuvre peu qualifiée baisse dans la dernière partie du xxe siècle, la France puis l'Europe tout entière cherchent à entraver l'arrivée de nouveaux migrants , notamment grâce à des systèmes juridiques et policiers toujours plus sophistiqués. Ces dispositifs de gestion des flux obligent les personnes qui veulent gagner l'Europe à mettre leur vie en jeu et - c'est un phénomène nouveau - elles sont des milliers à mourir chaque année sur les routes de l'exil.
Si tout cela est possible, s'il existe des milliers d'agents étatiques pour mettre quotidiennement en oeuvre ces politiques inégalitaires et féroces, c'est qu'elles sont largement habillées par le droit. Le droit est en effet un outil terriblement efficace : il confère à cet édifice macabre sa légitimité, tandis que l'enchevêtrement des textes et l'abstraction des catégories juridiques tiennent le réel à distance. -
Arpenter le paysage ; poètes, géographes et montagnards
Martin de La Soudière
- Anamosa
- 2 Mai 2019
- 9791095772675
Sur le mode du récit, Martin de La Soudière dialogue avec ses pères et ses carnets de travail. Son corpus hors du commun rassemble des écrivains, géographes, paysagistes, peintres, botanistes, mais aussi grimpeurs, militaires, cartographes, taupiers, bergers et autres promeneurs. Tous écrivent leur paysage. Franz Schrader, Élisée Reclus ou Vidal de La Blache habitent l'imaginaire de l'auteur, au même titre que les manuels d'escalades du XIXe siècle ou les livres de géographie du jeune élève des années 1950/1960. Entrer en Pyrénées s'opère aussi à différentes échelles, la vue statique et graphique avec son cadre et sa lumière est indissociable de l'expérience de l'escalade, de la promenade en famille ou de l'expédition aventurière entre frères et soeurs. Comme Martin de La Soudière le dit, on entre en paysage avec le pied et avec la main (on empoigne la matière de la roche pour grimper aux sommets). Mais l'écriture du paysage, en plein vent et en cabinet, est aussi une affaire de rituels. L'auteur scrute les gestes de ses poètes de prédilection : Jean-Loup Trassard arpentant son bocage, Julien Gracq au volant de sa deux-chevaux sur les rives de la Loire, André Dhôtel se perdant dans la forêt des Ardennes, jusqu'à Fernando Pessoa le promeneur immobile de Lisbonne. À travers ses « devanciers » comme il les appelle, l'auteur revendique une intimité du paysage féconde pour l'imaginaire et le travail intellectuel.
Dans cet ouvrage, Martin de La Soudière « franchit » la montagne en quelque sorte : inaugurant son récit par le souvenir de l'arrivée au seuil des Pyrénées quand il était enfant, le père de famille proclamant au volant de sa 15 chevaux « Et voici nos montagnes », il le termine de l'autre côté du sommet, en Aragon, sur un dialogue avec son frère décédé Vincent, dialogue aux accents d'énigmes sur une vue panoramique. Le récit est accompagné de photos personnelles, d'extraits des carnets de Martin, carnets de son enfance jusqu'à aujourd'hui.
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La Paix des ménages - Histoire des violences conjugales XIXe-XXIe siècle
Victoria Vanneau
- Anamosa
- Chaki
- 7 Décembre 2023
- 9782381910796
Si la question des violences conjugales est aujourd'hui présente dans les médias et l'espace public comme un " fait de société ", nommé et condamné, leur lente définition n'avait été écrite. C'est chose faite avec ce livre, contribution majeure à la compréhension du XIXe siècle et à la définition de ces " brutalités domestiques ", et désormais disponible en poche.
À l'heure où les historiens s'emploient à revisiter la place de l'État dans l'organisation des sociétés, ce livre est une contribution majeure à la compréhension historique de la place du droit et de la justice dans le processus de pacification des moeurs qui tenaille tant le xixe siècle. Nourri des centaines d'affaires de violences conjugales dont les tribunaux n'ont pas cessé d'être saisis, il souligne la difficulté de saisir ces violences bien particulières, plonge le lecteur dans l'ambiance des tribunaux et fait le pari de se placer au plus près des magistrats qui traitent ces affaires. Y apportant des arguments solides et historiquement fondés, il permet également d'alimenter les débats citoyens et d'aller à l'encontre de certaines idées reçues : les hommes battus existent aussi, le xixe siècle ne fut pas que celui du " droit de correction " et peut-être, ayant fait de ces violences un " fait de droit " et non pas un " fait de société ", savait-il mieux les punir qu'aujourd'hui. -
Depuis quelques années, les mots « décolonial » et « décolonialisme » ont fait leur apparition dans le débat public français : dans les tribunes, discours, essais ou encore éditoriaux divers. Ils y occupent une place très particulière, celle du mot qui divise en prétendant défendre l'unité, celle du mot qui agit en prétendant se contenter de décrire, celle de la victime contre l'ennemi qui menace.
Comme nombre de titres de la collection Le mot est faible, l'objectif de l'ouvrage est de réussir à tenir ensemble et à montrer dans leur complexité, dans un essai très argumenté, les transformations de la visibilité de certaines approches épistémiques contre-hégémoniques à l'échelle mondiale (le mouvement décolonial n'étant pas le seul existant, mais sans doute l'un des plus repris actuellement dans d'autres régions du monde, notamment en raison de son affinité sémantique avec l'idée de décolonisation) et les logiques de résistance - politiques et intellectuelles - qui s'exercent en France à l'égard de ces transformation en raison de l'homologie discursive entre la défense de l'universalisme républicain et la défense de l'universalisme scientifique dans une version calquée sur le « point de vue de nulle part ».
L'ouvrage ne vise pas à s'engager pour ou contre telle ou telle approche. Il essaiera non pas de rester neutre, mais de plaider pour un engagement académique (peut-être plus assumé que l'engagement intellectuel qui se pratique au nom d'idées universelles sans dire son nom propre), tout à la fois réflexif et situé, attentif à saisir à quel point et de quelle manière l'ethnocentrisme - pas seulement eurocentré - invite au binarisme pour mieux essayer de réfléchir aux conditions de possibilité de l'instauration d'un dialogue scientifique plus large, ouvert au(x) monde(s) et à une forme d'universalité différente (qu'on l'appelle « pluriverselle » ou tout simplement « plurielle ») -
Non le concept d'intersectionnalité ne représente pas un danger pour la société ou l'université, ni ne fait disparaître la classe au profit de la race ou du genre. Bien au contraire, cet outil d'analyse est porteur d'une exigence, tant conceptuelle que politique. Une synthèse nécessaire, riche et argumentée, pour comprendre de quoi on parle Les attaques contre les sciences sociales se font de plus en plus nombreuses. À travers elles, ce sont certains travaux critiques qui sont particulièrement visés, notamment ceux portant sur les discriminations raciales, les études de genre et l'intersectionnalité.
À partir d'un article de 2019, devenu référence et paru dans la revue Mouvements, entièrement revu et actualisé, voici, pour toutes et tous, une synthèse salutaire et nécessaire sur ce qu'est réellement la notion d'intersectionnalité. Les autrices, sociologues, s'attachent d'abord à rappeler l'histoire du concept élaboré il y a plus de trente ans par des théoriciennes féministes de couleur pour désigner et appréhender les processus d'imbrication et de co-construction de différents rapports de pouvoir - en particulier la classe, la race et le genre. Il s'agit ensuite de s'interroger sur les résistances, les " peurs ", les discours déformants et autres instrumentalisations politiques que l'intersectionnalité suscite particulièrement en France. Mais justement, défendre les approches intersectionnelles, n'est-ce pas prendre en compte, de manière plus juste, les expériences sociales multiples et complexes vécues par les individu·es, et donc se donner les moyens de penser une véritable transformation sociale ?
Pour l'intersectionnalité : " Qui nos institutions académiques accueillent-elles et quels savoirs valorisent-elles et font-elles éclore sont donc deux questions indissociables. Et ce n'est qu'en tentant d'y répondre et en donnant toute sa place à des travaux potentiellement porteurs de transformation sociale pour les groupes marginalisés que l'enseignement supérieur et la recherche pourront continuer de jouer un rôle politique et social en France, car elles produiront une recherche scientifique qui renouvelle notre compréhension du monde social et le donne à voir dans sa complexité. " Éléonore Lépinard et Sarah Mazouz. -
L'appel de la guerre ; des adolescents au combat, 1914-1918
Manon Pignot
- Anamosa
- Chaki
- 7 Décembre 2023
- 9782381910710
La version poche du travail pionnier de l'historienne Manon Pignot, lauréate du Prix Augustin Thierry des Rendez-vous de l'histoire de Blois et du Prix Pierre Lafue.
Christian Sarton du Jonchay, Ernest Wrentmore, Marina Yurlova, Rudolf Hoss, Jack Cornwell... Ces jeunes Français, Américain, Russe, Allemand ou Anglais sont nés entre 1899 et 1904 ; ce sont des combattants juvéniles, dont l'historienne Manon Pignot est allée chercher la trace dans les archives d'Europe et d'Amérique du Nord. Bien souvent camouflés, du fait du caractère illicite de leur engagement au sein des armées régulières, trouver ces " ado-combattants " relève du jeu de piste, tant les sources sont parcellaires, dissimulées. L'autrice interroge les raisons comme les modalités de l'engagement de ces adolescents, les obstacles aussi qu'ils ont dû surmonter et la manière, s'ils ont survécu, dont cette expérience de guerre les a marqués. Patriotisme, transgression et filiation, désir d'aventure et désir de guerre... C'est une histoire délicate à écrire, tant elle touche à nos conceptions contemporaines de l'enfance et de l'adolescence. Avec ce travail pionnier, Manon Pignot s'attaque à un angle mort de l'historiographie contemporaine. -
De colère et d'ennui ; Paris, chronique de 1832
Thomas Bouchet
- Anamosa
- Chaki
- 25 Avril 2024
- 9782381910956
En 1832 à Paris, les funérailles du général Lamarque, icône populaire victime du choléra, déclenchent l'insurrection des 5 et 6 juin. Alors que Victor Hugo choisissait ce décor pour hisser Gavroche sur les barricades, Thomas Bouchet livre une chronique de cette année exceptionnelle à travers les voix de quatre femmes que tout oppose.
1832 : tandis que Paris vibre, vacille et gronde sous les coups redoublés de l'épidémie et de la guerre des rues, Adélaïde s'ennuie. Elle frémit dans son salon à la lecture des journaux, se délecte du chocolat que sa domestique lui rapporte de chez Marquis, s'émerveille en recluse des oiseaux du Jardin des plantes où elle vit, loin des barricades où Gavroche meurt.
Émilie se bat et débat du côté de Ménilmontant et dans les cafés enfumés pour faire entendre la cause féministe chez les saint-simoniens. Louise, marchande ambulante du centre de Paris, atteinte du choléra puis soupçonnée d'avoir participé à l'insurrection, est sans cesse contrainte à faire face - au commissaire, au juge, au médecin, au directeur de sa prison. Lucie enfin, la mystique, jouit en son corps et du corps de Jésus derrière les murs d'un couvent, puis le choléra l'emporte.
C'est dans la compagnie des archives que Thomas Bouchet a pratiqué jusqu'ici son travail d'historien. Il s'appuie cette fois, en outre, sur les ressources de la fiction. Les quatre voix qu'il entrelace composent une histoire sensible et sociale. Son texte met les sens en éveil ; dans le Paris de naguère il donne chair à des visions du monde, à de douces rêveries, à d'intolérables douleurs.
Un livre couronné du Grand Prix de l'Histoire de Paris - LE GESTE D'OR, catégorie Fiction.
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De colère et d'ennui, que publie l'historien Thomas Bouchet, mérite d'être salué à sa juste valeur. Voilà un livre qui ne ressemble à aucun autre."
Dominique Kalifa, Libération
"Troublant, sensible, l'ouvrage réalise son ambition en forme d'oxymore : celle de "forger et restituer quelques éclats de réel"."
André Loez, Le Monde des livres
"En reconstituant de façon fictive et pourtant si réelle la "vie affective" de 1832, Thomas Bouchet surpasse les attentes de Lucien Febvre qui, dès 1941, invitait ses pairs à croiser histoire et sensibilité et à plonger "dans les ténèbres de la psychologie". Voilà un nouveau et beau "cri d'artiste" poussé par un "pauvre historien"."
Nicolas Dutent, L'Humanité
"De colère et d'ennui est une illustration émouvante (littérairement) et convaincante (scientifiquement) de la féconde rencontre entre fiction et sciences sociales. (...) Il y a bien évidemment des vertus pédagogiques à choisir ainsi de rendre compte d'événements historiques ou de phénomènes sociologiques de façon fictionnée/fictionnelle. C'est l'ambition des " passeurs de sciences sociales " que de donner à voir ce qui ne peut se montrer et à entendre ce qui ne se dit pas. Mais il se joue quelque chose d'autre dans cette hybridation, quelque chose qui a à voir avec la puissance créatrice de l'écriture, quelle que soit sa forme. (...) Les quatre femmes de 1832 parlent à la première personne, c'est ainsi Thomas Bouchet qui parle avec elles et c'est l'histoire de cette année méconnue qui résonne à nos oreilles. Nous n'en saurons pas tout, car l'historien ne peut tout dire, mais ce qui demeure lorsque l'on referme le livre, de façon évidente et, pour tout dire, magnifique, c'est l'impression d'avoir entendu, véritablement entendu, les voix à jamais dissoutes des femmes et des habitants du Paris populaire du premier 19e siècle."
Camille Froidevaux-Metterie, AOC
Lauréat en 2019 du Grand Prix de l'Histoire de Paris - LE GESTE D'OR, catégorie Fiction -
Alors que le mot révolution sert à vendre à peu près n'importe quoi et n'importe qui, ce livre fort et joyeux montre comment il a été domestiqué par tous les pouvoirs depuis le xixe siècle et comment, en le prenant de nouveau au sérieux là où il veut dire quelque chose, il est possible de renouer avec la puissance et la promesse imaginatives des processus révolutionnaires.
Le mot révolution se prête désormais à tout. Il sert à vendre des yaourts ou des chaussures aussi bien que les idées de campagne, pourtant très libérales, du président Macron. Il est temps de lutter contre ces détournements. Ludivine Bantigny, spécialiste renommée et engagée de l'histoire des luttes contemporaines, et notamment de Mai 68, montre ici combien les révolutions ont été l'objet d'un intense travail de domestication. Les élites du xixe siècle se sont montrées obsédées d'en finir avec elles, d'en dompter les élans et d'en effacer les traces. Celles du xxe siècle, en les célébrant, en les commémorant avec faste, n'ont pas cessé de les apprivoiser au point qu'elles n'inquiètent plus personne. Mais arracher le mot à la langue feutrée du pouvoir, qu'il soit économique ou politique, ne suffit pas. Il faut en retrouver le sens en acte. En prenant pour appui les mouvements de lutte contre le capitalisme, comme ceux du Chiapas, ce livre vigoureux libère avec bonheur la force des espérances, des rencontres et des potentialités que font naître les révolutions. -
La saison des apparences ; naissance des corps d'été
Christophe Granger
- Anamosa
- Chaki
- 7 Décembre 2023
- 9782381910703
La version poche d'un des ouvrages novateurs de l'historien et sociologue Christophe Granger, lauréat du Prix Femina Essai en 2020 pour Joseph Kabris.
Ce livre recompose une palpitante histoire : celle qui a vu les Français apprendre à vivre l'été avec leur corps pour personnage principal.
C'est l'histoire de l'été et des corps qui vont avec, allongés, dénudés, offerts au soleil. En France, elle se noue entre 1920 et 1970. Alors s'imposent à la fois une saison des apparences et l'exigence d'une apparence de saison. Les édits changeants de la silhouette, le bronzage, l'horizontalité publique et le périmètre capricieux des dévoilements inventent ainsi, à échelle d'hommes et de femmes, de nouveaux savoir-faire et de nouvelles exclusions. Dans la levée des habitudes, la morale des corps d'été a des allures de civilisation suspendue. Elle sacralise le retour à la simplicité et la variation des manières d'être. Derrière le mythe du corps libéré et de l'oubli des différences sociales, elles portent toutefois des jeux sociaux considérables dont témoignent, oubliées depuis, les bagarres et les liesses punitives qui ont eu lieu sur les plages, au sujet de la longueur du maillot de bain, des postures interdites, de la pratique des seins nus ou, plus récemment, de la question du burkini. -
Les chiffres, omniprésents, posés comme donnés, semblent imposer une vérité laquelle nous devrions nous soumettre. Or il est temps de (re)trouver une capacité de les discuter, d'en déchiffrer les significations. Il est temps de se ressaisir de ces objets sociaux, pour retrouver une capacité d'en débattre, un droit de les critiquer et une liberté de les redéfinir.
Chiffres de contamination, mesure de l'intelligence, nombre de chômeurs, score de popularité, montant de la dette publique, indicateurs de performance... Si les chiffres sont omniprésents dans nos sociétés, que nous disent-ils réellement ? De quoi parlent-ils exactement ? Davantage qu'une vérité sur le monde, ils révèlent nos besoins de nous coordonner, de trouver des manières de faire des choix et de disposer de conventions pour nous entendre. Ils nous parlent d'une multitude de choses qu'ils contribuent en permanence à créer. Fruits de l'activité humaine, ils expriment et matérialisent nos choix, nos valeurs, nos conventions : les chiffres sont des objets sociaux et humains, et non des données naturelles s'imposant à nous. Tout l'objet de cet ouvrage est ainsi de prendre la mesure des dimensions conventionnelles, sociales et politiques des chiffres, en identifiant les enjeux de pouvoirs auxquels ils sont associés. Ce déchiffrage permet de reprendre conscience des choix qui les fondent, de mieux comprendre leurs portées réelles et qu'ils doivent redevenir les objets politiques qu'ils sont en réalité, objets politiques qui doivent être aussi accessibles au débat démocratique. Il faut donc retrouver une capacité à déchiffrer les chiffres, en ne se laissant pas intimider par l'autorité que leur confère leur apparente naturalité ou les pouvoirs qui les promeuvent. -
Joseph Kabris ou les possibilités d'une vie, 1780-1822
Christophe Granger
- Anamosa
- 1 Octobre 2020
- 9782381910031
À la fin du XVIIIe siècle, le Français Joseph Kabris a vécu sept ans sur une île du Pacifique. Il s'est intégré à la société locale. Arraché à son île, il est devenu russe, avant de regagner la France. Là, il a donné à sa vie les traits d'une épopée, devenant le monde en personne. Comprendre comment on devient Joseph Kabris : voici l'enjeu de ce texte foisonnant et ambitieux.
Joseph Kabris est tatoué de la tête aux pieds. C'est ainsi qu'il gagne sa vie dans les lieux de spectacle et d'exhibition de la Restauration, montrant son corps et mettant en mots l'" étrange destinée " qu'il a eue. Né à Bordeaux vers 1780, embarqué sur un baleinier anglais, il a vécu sept ans sur une des îles Marquises, Nuku Hiva. Parmi les " sauvages ", il est devenu l'un d'eux. Il a appris leur monde, leurs gestes, leur langue et oublié la sienne. C'est là qu'il a été tatoué. En 1804, une expédition russe est venue et l'a arraché à son île, à sa femme et à ses enfants. Sans cesser tout à fait d'être un " sauvage ", il est devenu russe, a rencontré le Tsar, avant de regagner la France. Il a repris sa langue, il a appris à dire sa vie, à lui donner les traits d'une épopée. Il a fasciné les foules. Il est devenu le monde en personne. Il est mort à 42 ans, sans jamais revoir son île.
Kabris a ainsi multiplié les recommencements, ne cessant de voir ses habitudes s'abolir et d'en reprendre d'autres. Il devient marin, chef de guerre, professeur de natation, homme de foire, recyclant les passés qu'il a incorporés, prenant appui sur les systèmes sociaux où il se trouve. Et, chaque fois, il tire parti de ce qu'il a déjà vécu pour négocier au mieux ce qu'on attend de lui.Dans cette enquête fascinante et troublante, il ne s'agit pas seulement de découvrir à hauteur d'homme une histoire de la mondialisation dont émergent nos sociétés contemporaines. Cheminer dans cette existence se faisant, l'explorer à la manière d'une " carrière " dans laquelle Kabris s'engage, bifurque, insiste, abandonne ou se convertit, comprendre en somme comment on devient Joseph Kabris, c'est aussi saisir la manière dont le monde historique traverse une vie et la rend possible.
Lauréat du Prix Femina Essai 2020 -
L'aiguille et la plume : Jules Gay, Désirée Véret, 1807-1897
Thomas Bouchet
- Anamosa
- 25 Avril 2024
- 9782381910932
Grand spécialiste du bouillonnant XIXe siècle, Thomas Bouchet questionne ici l'écriture biographique. Il propose un " pas de deux ", nous faisant approcher au plus près de ses " personnages " (l'ouvrière de l'aiguille Désirée Véret et l'éditeur Jules Gay), de leurs engagements politiques et sociaux, des " paysages changeants " qui colorent les vies - les leurs, les nôtres.
Il naît trois ans avant elle et elle meurt dix ans après lui. Les longues existences respectives des socialistes Jules Gay (1807-1887) et Désirée Véret (1810-1897) entre leurs naissances à Paris et leurs morts à Bruxelles invitent à se demander, à hauteur d'expériences souvent fragmentaires, ce que pouvait signifier vivre, vivre à deux, vivre en société, être socialiste au XIXe siècle. Leurs engagements sont en effet multiples, tant dans leurs milieux respectifs (l'artisanat du textile pour elle, la petite bourgeoisie lettrée pour lui) qu'au-delà : émancipation des femmes et des enfants, communisme, owénisme, fouriérisme et saint-simonisme, anticléricalisme, pacifisme, internationalisme.
Si certaines facettes de la vie de Désirée sont connues des historien·ne·s, le souvenir de Jules s'est en revanche davantage effacé. L'Aiguille et la Plume tente de (re)faire leur connaissance à la lumière de sources inédites, de saisir certaines conditions concrètes de leurs parcours, qui les mena de Paris à Bruxelles, en passant par Londres, Châtillon-sous-Bagneux, Genève ou Turin, d'analyser leurs prises de position dans plusieurs de certains des plus âpres combats de l'époque.
Mariés pendant cinquante ans, Désirée et Jules ont eu au moins en commun la soif de changer la vie en société et d'être heureux. Placer en regard et en dialogue leurs parcours respectifs, montrer des proximités et des dissemblances dans leurs pensées, leurs écrits et leurs agissements, observer aussi d'aussi près que possible la nature et l'évolution de leurs relations avec nombre de leurs contemporain·es, est une façon de faire osciller le genre biographique entre le solo, le duo et le un foisonnant pluriel, de s'essayer à écrire une-deux-plusieurs vies.
De la sorte, Thomas Bouchet ne trace pas un récit en ligne droite entre la naissance de Jules à la mort de Désirée. Il se garde des effets de lissage et d'uniformisation trompeurs de l'écriture biographique, Il préfère un dispositif plus hétérogène, en " morceaux ". Il tisse ensemble son récit, les voix de Désirée et Jules, d'autres voix qui s'expriment sur elle, sur lui, sur leur duo. Et ce sont bien des " éclats de vie " qui ressortent, une fois que l'on a cheminé avec Désirée ou Jules, avec Désirée et Jules.
" Par mes oeuvres on saura mon nom ", écrivait Désirée Véret en 1832 dans La Femme nouvelle. Apostolat des femmes ; par L'Aiguille et la Plume, on sait en effet son nom, celui de Jules Gay, et bien davantage. -
Les larmes de Rome ; le pouvoir de pleurer dans l'Antiquité
Sarah Rey
- Anamosa
- Chaki
- 7 Décembre 2023
- 9782381910789
La version poche d'un ouvrage devenu référence. Dans la Rome antique, les larmes étaient même un adjuvant du politique, l'arme des orateurs et le moyen de se distinguer du vulgaire. Une originale plongée dans la société de conquérants impitoyables, mais sentimentaux !
Des chevaux pleurent sur les rives du Rubicon. Le meurtre de César est annoncé. Ce prodige le suggère : les larmes coulent en abondance chez les Romains. Elles sont même un adjuvant incontournable du politique, l'arme privilégiée des orateurs et le moyen de se distinguer du vulgaire. Souvent dépeints en guerriers impitoyables, les Romains sont rarement montrés dans leurs moments de fragilité ou d'égarement. Leur mauvaise réputation de rudesse a jusque-là découragé toute enquête générale sur leurs larmes, là où les lamentations des héros grecs ont déjà fait couler beaucoup d'encre. Dans cette histoire inversée de la force romaine, il faut accepter de ne pas s'y reconnaître, de perdre pied. Le parcours que propose ce livre est ainsi celui d'un paradoxe : saisir l'étrangeté de ces larmes d'hier si semblables aux nôtres, c'est aussi comprendre qu'elles n'ont rien de celles d'aujourd'hui. -
Alors que les inégalités sociales (notamment face à l'école) ont été aggravées ces vingt dernières années par les crises économiques, pourquoi continue-t-on de croire au mérite ?
" Yes, we can ! ", " Qui veut, peut ", " premiers de cordées "... Défendu autant par les partis progressistes que conservateurs, peu de notions font l'objet d'un consensus politique aussi complet que le mérite. Il est ainsi investi comme un principe " juste " de distribution des ressources rares. De la même façon, l'école s'est imposée dans de nombreuses sociétés comme l'espace de construction de l'émancipation des individus par le mérite par excellence. Pourtant qui définit le mérite aujourd'hui, et surtout comment le définit-on ?
Cet essai incarné et sensible vise, à partir de l'apport d'études récentes en sciences sociales, à réhabiliter les luttes (ordinaires ou politiques) qui structurent les usages de la rhétorique méritocratique comme principe de justice. Car loin d'être univoque, le mérite fait l'objet d'une reconfiguration perpétuelle, autant dans l'espace public, que dans nos relations ordinaires aux institutions. De la même manière, à rebours d'une lecture qui ferait du mérite un principe abstrait de la justice sociale hérité de la Révolution française, la sociologue Annabelle Allouch propose de comprendre le mérite comme une morale sensible de la reconnaissance qui structure notre quotidien, ce qui permet de comprendre notre attachement à cette notion, malgré les critiques dont elle fait l'objet. Pour ce faire, elle mobilise avec talent un ensemble de saynètes tirées de l'actualité ou bien ses propres enquêtes autour de la sociologie du concours et des effets de la discrimination positive dans l'accès à l'enseignement supérieur. -
Dans la bouche des puissants, le mot « démocratie » vient qualifier nos régimes, ce qui justement nous distingue des autres, des régimes autoritaires, voire totalitaires. Le mot ici n'est pas faible, il charrie avec lui une puissance de légitimation sans égale. A force d'entendre que nous devrions nous estimer heureux de vivre en démocratie, on pourrait presque penser que le mot démocratie est la seule chose qui nous reste, la seule petite différence à laquelle se raccrocher, alors que les dites démocraties échouent, sur tous les plans. Elles échouent économiquement et socialement, avec des inégalités qui ne cessent de se creuser. Elles échouent politiquement, le pouvoir restant dans les mains d'une petite minorité de personnes. Et les démocraties libérales semblent en bonne voie pour échouer à affronter la catastrophe écologique non pas à venir, mais déjà là.
Face à ce discours de légitimation, le mot démocratie sert aussi à ceux et celles qui justement contestent l'ordre établi, au nom d'un idéal qui resterait à réaliser. Le mot démocratie vient alors qualifier non pas ce qui existe, mais un ailleurs, une utopie peut-être, en tout cas une société qui saurait s'administrer elle-même et où règneraient des rapports plus égalitaires. Le récent mouvement des Gilets jaunes s'est ainsi fait fort de dénoncer nos régimes comme étant non des démocraties, mais des oligarchies ou des aristocraties déguisées. Ils ont défendu l'idée d'une démocratie véritable, fondée sur la consultation permanente des citoyens sur tous les sujets . Certains ont même avancé, redécouvrant une institution centrale de la démocratie athénienne, la nécessité d'attribuer les positions par tirage au sort, procédure éminemment égalitaire, donc démocratique. Ce n'est ainsi rien moins qu'à une lutte des mots qu'ils se sont livrés et se livrent encore, rappelant que le mot démocratie, pris au sens fort, est à l'opposé des systèmes que les puissants de l'heure qualifient de démocraties. L'appel à une démocratie authentique, c'est-à-dire directe, totale et permanente, reste certes minoritaire, et de peu de poids face aux discours de légitimation du système. Mais il vient dénoncer sur la place publique le mensonge permanent que constitue l'usage dominant - c'est-à-dire l'usage des dominants - du mot démocratie.
Pour faire triompher la démocratie, la vraie, ne faudrait-il pas dénoncer sans relâche ce régime qui se prétend démocratique et redonner son vrai sens au mot ? Le problème est justement que le mot est faible. Si nos régimes tiennent, ce n'est pas seulement parce qu'ils serviraient des mots trompeurs à des masses abruties. Ils ont avec eux toute la puissance de l'institution qui insère le mot démocratie dans un système de significations et de pratiques qui le nourrit en lui donnant un signifié dense - fait de campagnes électorales, de votes, de manifestations, de débats, de multiples occasions d'engagements, de participation et conflits qui ont fait incorporer aux citoyens le sens commun du mot démocratie, fût-il trompeur. Et pourtant, le plus frappant, c'est que même avec tout cela, avec un tel contrôle sur les esprits et sur les corps, nos régimes ne réussissent pas à véritablement emporter l'adhésion, le niveau de défiance vis-à-vis des institutions, et en particulier des dirigeants, atteignant sans cesse de nouveaux records. Plus grand monde ne croit au discours des démocraties sur elles-mêmes, et pourtant elles tiennent - c'est donc que la dénonciation du mensonge que constitue l'usage dominant du mot démocratie est loin d'être suffisant. Retrouver la force du mot nécessite alors d'aller au-delà de l'opposition entre mensonge et vérité, pour mettre en lumière les différents plans sur lesquels se joue le combat autour de la démocratie entre les puissants et le peuple, et de saisir sur chacun de ces plans les coordonnées de ce combat. S'il y a des raisons de déconstruire l'usage que les puissants font du mot démocratie, ce n'est pas seulement parce qu'il est trompeur, mais aussi et surtout parce qu'il vient masquer ce qui fait démocratie dans nos régimes : ce que les dominés d'hier et d'aujourd'hui, par leurs luttes comme par leurs inventions, nourrie de leur sens de la démocratie, y ont imposé.